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pumpernickel

commentaires satiriques de l'actualité wissembourgeoise

Mon cher Grand-père,

Mon cher Grand-père,

 

Figure-toi que j’ai encore pensé à toi aujourd’hui. Remarque, ce n’est pas très original, puisque comme tu dois t’en douter, il ne se passe pas une semaine sans qu’un fait, une expression ou une situation me ramène à ton souvenir. C’est un peu normal, puisque tu es quelqu’un qui a marqué son entourage à cause ou grâce à ton caractère mais plus encore parce que ta vie n’a pas été banale, si on la compare avec la mienne en particulier.

 

Né en 1895, tu es mort en 1988. Pas mal pour un type qui a traversé un siècle riche en tueries de toutes sortes mais dont tu as réussi à te sortir souvent miraculeusement. Après une enfance dans un milieu de paysans pauvres et de charbonniers de bois, tu es monté à Paris où tu as travaillé dans l’une de ces innombrables entreprises de louage de voitures. Sans trop de ressources, tu dormais dans des sortes de foyers, assis à côté des autres, appuyé sur une corde dont on défaisait le nœud le matin pour réveiller tout le monde. Mais ces traitements plutôt frustes ne sont pas parvenus à te casser le moral quand la première guerre mondiale est arrivée. A ce propos, je me rappelle que tu racontais que tu te trouvais sur les marches de ce que l’on appelait encore «  La Chambre  » quand tu as vu venir à ta rencontre un député que tu connaissais et qui venait de voter les crédits militaires. Il t’a dit : « Mon p’tit gars, c’est la guerre, faut t’engager ! ». Toi qui n’avais pas encore 19 ans, tu as suivi le conseil de cet homme courageux qui, à l’automne de sa vie, a envoyé à la boucherie barbare des millions de jeunes gens de ton âge, merci pour lui.

Comme tu étais toujours le premier à sauter hors de la tranchée, tu t’en es bien sorti. Vieil-Armand, Chemin des Dames, etc., on ne t’aura rien épargné, mais tu as réussi à éviter balles et obus, confiant à ton couteau de nettoyeur de tranchée les derniers moments d’humanité que tes chefs ne t’avaient pas volé.

 

Libéré des obligations militaires, tu es revenu dans ton ouest natal pour faire ta vie, alors qu’à 22 ans tu avais plus mûri que je ne parviendrai à le faire même si je devais mourir centenaire. Emploi modeste au chemin de fer (réseau de l’Etat) que tu menais de front avec une activité de vendeur de produits d’épicerie à domicile, puis loi Loucheur qui t’a permis de construire une maison pour ta famille. Cours du soir, volonté de s’en sortir, sens des responsabilités, tu as tout fait pour contrarier le sort et l’obliger à te réserver une place au soleil que tu n’avais pas volée.

D’autant que lorsque les Allemands sont arrivés à Brest en 1940, et que tu étais responsable d’un atelier de la maintenant SNCF, il a fallu que tu t’accommodes de ces personnages qui t’ont pourri la vie, accumulant les vexations, s’installant partout, réquisitionnant les plus belles maisons, faisant descendre les gens du trottoir, pillant les magasins, arrêtant tes amis, etc. Comme tu n’étais pas homme à te résigner, et que ta situation te permettait d’être efficace, tu as apporté ta part à la clandestinité, sans en faire pour autant plus état que ça.

Sur le plan personnel, un premier veuvage t’a laissé meurtri, mais tu es parvenu à reconstruire ta vie, plutôt bien.

 

Ensuite, la vie s’est déroulée somme toute assez paisible dans une France qui offrait tous les ans à ses enfants un peu plus de bien-être et d’agrément. Tu en as profité pour voyager et découvrir sur le tard tout ce qui t’avait été refusé quand on t’a volé ta jeunesse.

Alors que pendant des années, tu n’as raconté que les bons souvenirs de la guerre (qui n’a jamais été grande que dans les livres ou dans les esprits des historiens contents d’avoir trouvé une formule), quand l’âge est venu, sont remontés tous ces moments d’effroi avec lesquels tu as dû vivre auparavant et que tu parvenais tant bien que mal à refouler. Et là, la guerre, celle que les autres t’ont obligé à faire, elle n’était pas très belle. Il faut dire que vivre pendant 60 ans avec les cris d’agonie d’un camarade, ce n’est pas de tout repos.

 

Pour la reconnaissance sociale, …tiens c’était justement mon propos. A la maison, chez toi, j’ai vu ces médailles que l’on remet au soldat courageux qui a exécuté l’ordre (même celui de Nivelle, en 1917 : attaquons, attaquons, attaquons, …comme la lune ! »), mais il en manquait une dont j’entendais parler déjà tout petit, tu sais cette fameuse légion d’honneur, le summum de ce qui se fait dans la hiérarchie de la monarchie républicaine. Plus tard, j’ai appris par cœur ce qu’en disait le Canard enchaîné, à savoir que le pire, dans la légion d’honneur, ce n’est pas de la recevoir, mais de l’avoir méritée. Donc, pour ton honneur, tu ne l’as pas méritée. Tu ne dois pas en avoir fait assez au service d’une patrie dont tu t’es interdit de contester les institutions, même en 1934 quand tes camarades anciens combattants (on ne disait pas encore « vétérans », cet américanisme complètement décalé) t’ont invité à les rejoindre pour manifester avec eux le 6 février. Non, tout ça, l’héroïsme quotidien, le devoir qui commande, la rectitude morale, l’éducation souvent sévère donnée aux enfants, les privations, n’avoir que 4 dimanche par an pour être avec sa famille (ça, c’était le chemin de fer dans les années 20 & 30), bref, ce ne sont que des détails.

 

Et aujourd’hui, qu’est-ce que je lis dans les pages Bas-Rhin de la PLR  ? Qu’une émouvante cérémonie s’est déroulée à Bischheim au cours de laquelle le ministre alsacien de circonstance, Monsieur Loos, a remis à un conseiller général, Monsieur Klein-Moser, les insignes de chevalier de la légion d’honneur.

Il a fait quoi ce brave homme pour mériter ça ? Si tu lisais son curriculum vitæ, je pense que ça te ferait sourire, ou pleurer. J’avais eu la même impression quand la même comédie se jouait à Wissembourg, cette fois. Il s’agissait d’honorer le 1er adjoint au maire, Monsieur Richter. Et là, c’est au titre des services qu’il a rendus à l’éducation nationale (dans ton temps, c’était l’instruction publique, et en fait, ça avait le mérite d’être clair) qu’il reçoit la breloque. Là, pareil, avec le même ministre alsacien de circonstance, Monsieur Loos, et blablabli et blablabla sur le récipiendaire qui est vraiment un type incroyable, mais pour la biographie, je préfère tout de même la tienne, parce qu’elle a quand même une certaine allure.

 

Je t’embrasse.

 

Antoine

p.s. : c'est un coup de fil d'un ami, attentif, qui l'autre soir m'a ramené à la réalité et hors de la passion qu'a pu inspirer ces remises intempestives de médailles aux citoyens méritants. C'est vrai que comme d'habitude, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac, et confondre torchons et serviettes. Ce n'est parce que quelques amateurs de breloques prestigieuses se précipitent pour être là, sur la photo du journal pour montrer qu'ils survivent à défaut d'avoir jamais existé qu'il faut jeter l'opprobre sur ceux qui ont fait tout simplement leur devoir en étant courageux et partant mérité réellement la reconnaissance de la société. La justice et la mesure commandent de reconnaître les mérites des uns et la fatuité des autres. Ensuite, peut-on se demander s'il convient de les considérer à la même aune ? C'est un peu le problème qui nous est posé par ce nouvel article qui cette fois met en scène le Père Ledogar, qui, aux dernières nouvelles a souvent payé de sa personne pour apporter aux souffrants le réconfort dont la société peine souvent à les gratifier.

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