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pumpernickel

commentaires satiriques de l'actualité wissembourgeoise

biométrie : la banalisation intrusive

Pumpernickel espère que vous êtes allés sur le site de cette entreprise au centre d’un publi-reportage publié le vendredi 15 février 2013 en pages régionales de ce premier quotidien d’Alsace qui nous donne, depuis le lancement de la campagne en faveur du "oui au prince-électeur" des leçons d’objectivité et de déontologie journalistique. Il s’agit de l’entreprise Alise située à Venelles dans les Bouches-du-Rhône, qui gagne sa vie en habituant les enfants à se faire traiter par biométrie. Car nous l’avons bien compris, de même que

– nous devons lever les bras comme des présumés délinquants pour nous faire palper alors que nous allons monter dans l’avion,
– nous devons ouvrir nos sacs pour entrer dans une salle de spectacle,
– notre carte d’identité va être reliée au grand fichier dont ses promoteurs nous assurent, croix de bois croix de fer, si je mens je vais en enfer, qu’il ne sera JAMAIS relié aux multiples fichiers plus ou moins légaux utilisés par les forces de maintien de l’ordre,
– notre carte de crédit associée à notre téléphone portable permet de nous pister en toute impunité et immunité,
– l'iris de nos yeux est systématiquement enregistré lorsque nous passons à proximité d’un écran publicitaire animé,
– nos courriels sont pillés, à notre insu, par des officines privées qui les "traitent" avant de les repasser aux services d’immigration états-uniens en particulier,
– les entreprises françaises sont maintenant pionnières en matière de mise en carte de pays entiers [ "déjà 125 millions ont un numéro personnel grâce à notre savoir-faire", n’hésitait pas à afficher l’une d’elle, en course pour le marché de l’identification des Chinois, le pays du grand bond en avant démocratique comme chacun sait ],
– le numéro INSEE a été inventé et mis en place par le régime de Vichy,

il est important, vital même, que notre progéniture s’habitue à se dévoiler devant une machine jusque dans les actes les plus anodins de la vie quotidienne. Alors, cette entreprise "photographie" les mains de nos enfants pour qu’ils n’aient plus besoin de présenter une carte de cantine. Mais, assure le responsable de cette entreprise vraiment comme les autres, qui fait 4 millions de chiffre d’affaire en employant une vingtaine de "collaborateurs", tout se passe bien puisqu’on ne "reconnaît" pas les empreintes digitales, se "contentant" de n’enregistrer "que" le contour et l’épaisseur des mains des enfants pour ensuite affecter ces données, sans "pousser trop loin le contrôle individuel", ne craint de préciser, pour semble-t-il nous rassurer celui qui, quelques lignes auparavant, avait confié que "chaque main est différente", surtout quand elle est couplée à un code "personnel". Il y a bien entendu quelques désagréments dans cette nouvelle manière d’"assouplir et de fiabiliser les accès aux cantines". Ainsi les "jeunes utilisateurs" sont-ils en période de croissance, ce qui oblige à rafraîchir épisodiquement les données les concernant. On espère que l’on en profite pour établir des statistiques sur la croissance moyenne, et par conséquent normale, de ces enfants, jouets des calculs de ceux qui disent vouloir faire des économies sur les cartes de cantine.

Il y en a une qui est absolument enthousiasmée par cette mise en fiche des élèves qui lui sont confiés, c’est Madame S. Arnould, intendante au lycée-collège de Bischwiller. Elle ne tarit pas d’éloges sur cette nouvelle pratique, avec son listing des noms des absents craché dès la fin du service par la machine couplée au détecteur de passage. Certes, il existe encore quelques familles, "elles sont rares, quelques-unes à peine sur les 800 rationnaires [ sic ] que compte notre établissement", qui refusent, provisoirement [ puisqu’avec le temps elles se résoudraient à en passer par ce contrôle d’accès ], de se plier à cette règle commune. En plus, doit-on admettre, les enseignants rechignent aussi, signe qu’ils ne comprennent rien au progrès et s’imaginent des trucs incroyables. Monsieur D. Rose, qui signe cet "article" de promotion commerciale est d’ailleurs formel : c’est l’hygiène qui pose le plus de problème, car il faut nettoyer le lecteur de main ! En effet !

Cela a peut-être échappé à notre Albert Londres régional, mais pour mieux comprendre tout le bien que notre intendante pense de ce système, il suffit de fouiner sur le site d’Alise et d’aller voir qui se cache derrière "le club". C’est intéressant, on y trouve cette savoureuse présentation d’une "association 1901 indépendante de la société ALISE, créée en 1993, qui rassemble les intendants et utilisateurs du produit de toute la France. Son but est d'adapter et de développer le logiciel ARC-en-SELF PERF+ dans le cadre de la restauration collective et de la gestion des établissements scolaires, par l'organisation de colloques en vue de faciliter la rencontre et l'information des utilisateurs du système, la création et l'animation de groupes de travail, ayant pour but de définir les améliorations à apporter aux fonctionnalités existantes, d'en définir les nouvelles et de participer à leur conception, la publication de la lettre du Club ARC-en-SELF dans les milieux scolaires et administratifs et l’organisation de voyages d'étude". Comme on le constate, rien à voir avec les objectifs commerciaux et financiers de cette entreprise, qui sait s’entourer de personnages absolument indépendants. Pour compléter, la société ALISE a mis en place un réseau de correspondants du club, au nombre desquels on trouve … Madame S. Arnould, qui ne peut ensuite que faire l’éloge d’un produit quelle apprend à faire connaître à ses collègues. Encore les félicitations de Pumpernickel.

Comme tout cela sent tout de même le souffre, il faut bien trouver une caution morale dont l’intervention lèvera tous les horribles soupçons que ce type de pratique pourrait faire naître. On en a trouvé une en la personne de Monsieur A. Bauer, criminologue autoproclamé, qui ne voit rien à redire à l’utilisation massive de la biométrie pour organiser le contrôle de la population. Et si nous nous plaignons de l’intrusion des autres dans  notre vie privée, d'après lui, nous n’avons qu’à nous en prendre à nous-mêmes puisque nous sommes [ tous ? ] des utilisateurs de ces réseaux soi-disant "sociaux". Voilà une réflexion de miroir qui permet d’avoir une idée du personnage et de la profondeur de sa réflexion. Mais au-delà de ça, peut-on rappeler cet article du 25 janvier 2009 paru sur ce blog qui retranscrit une émission mensuelle de l’union rationaliste au cours de laquelle Madame E. Perreux, présidente du syndicat de la magistrature à l’époque, présentait "l’affaire Tarnac", dans laquelle le rôle de ce monsieur est, au mieux, intéressant. On ignore si notre journaliste régional a eu l’idée de confronter les assertions des uns et des autres, tous promoteurs de la mise en carte, à l’autre versant de la réalité, corroboré par l’ancien président de la CNIL, Monsieur A. Türk, qui déclarait au Nouvel Observateur le 7 avril 2011 qu’il y a " un danger mortel pour les libertés individuelles. Les gens n'imaginent pas à quel point ils sont surveillés, profilés, leurs goûts analysés, leurs habitudes disséquées... Des milliards d'informations ont été collectées, et ce phénomène croît à une vitesse insensée. On a longtemps redouté Big Brother, mais on peut se rebeller contre un système centralisé. Or ce qui nous attend est bien pire. Nous assistons à la multiplication des nano-Brothers - capteurs, puces électroniques dans les cartes et les portables... -, beaucoup plus redoutables car les outils de surveillance sont multiples, disséminés, parfois invisibles, donc bien plus difficiles à contrôler. On ne sait pas qui collecte les données, où elles sont entreposées, pour combien de temps, ni dans quel but. La biométrie (empreintes électroniques digitales, oculaires...), la vidéosurveillance, la géolocalisation, la collecte des données en ligne, c'est un cocktail explosif."

Mais qui tout cela dérange-t-il à part quelques grognons qui agitent on ne sait quelle menace totalitaire ? Parce qu’il faut tout de même se rendre compte que le plus important dans la vie, c’est que Madame S. Arnould fasse des économies et qu’elle trouve en la personne de Monsieur A. Bauer la caution morale qui lui permette de dormir tranquillement quand elle rentre chez elle avec le sentiment du devoir accompli.

Encore bravo, ils l’ont bien mérité, à Monsieur D. Rose et Madame A. Muller pour cette pleine page d’intelligence, de recul, de mise en perspective, en relation et en rapport de la multitude d’informations qu’ils sont allés collecter avec un sens du sérieux qui leur fait honneur.

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