Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
pumpernickel

commentaires satiriques de l'actualité wissembourgeoise

Stathis Kouvelakis_matin estival sur france culture

Comme vous l’avez remarqué, le blog s’est mis en vacances. Mais l’activité va reprendre, peut-être pas aussi soutenue qu’auparavant, mais on fait ce que l’on peut. Merci de votre fidélité, et à bientôt, avec un numéro 66 de Pumpernickel en cours de réalisation, et une fête le 9 septembre placée sous le double signe de la poésie et de la préservation de la liberté de la presse.

C’est l’été, alors on a le droit d’entendre les voix qui sont ordinairement tricardes sur les ondes du service public. Pas de Brice Couturier à nous brouiller l’écoute ! Le bonheur en quelque sorte. Quelqu’un qui a quelque chose à dire est au micro, et il décrit ce qui ressemble à ce que nous vivons au quotidien. Il connaît le prix de sa facture d’électricité, il remet prestement à sa place le thuriféraire laborieux de la société libéraliste avancée. On sent qu’il connaît son sujet. Il parle sans haine d’autodéfense sociale. On se croyait dans un rêve.

France Culture, 14 août 2012.

Journaliste 1 : C’est un peu comme la pierre de Sisyphe, puisque les références à la Grèce ancienne sont très en vogue en ce moment … Dans le rôle de Sisyphe, le gouvernement grec, et dans le rôle de celui qui en a imposé l’absurde nécessité : une Troïka (FMI, Banque mondiale et Union européenne) de plus en plus exigeante. La pierre de Sisyphe parce que les chiffres de la croissance publiés hier le montrent bien : les politiques d’austérité n’ont eu aucun effet pour l’instant, le PIB est en chute de plus de 6%... Et que va devoir faire le gouvernement grec bien ennuyé de présenter de si mauvais chiffres à ses évaluateurs? Serrer encore la vis, sabrer encore dans les dépenses. La Grèce est entrée c’est officiel dans sa cinquième année de récession … le taux de chômage atteint aujourd’hui 23%, le salaire minimum est passé en-dessous des 600 euros. Un dirigeant d’entreprise publique a été limogé, la semaine dernière, pour avoir refusé de baisser les salaires de ses employés … de 35% en deux ans comme l’exigent les nouvelles règles du jeu. La semaine prochaine, le gouvernement d’Antonio Samaras doit rembourser plus de 3 milliards d’euros d’obligations détenues par les banques centrales d’Europe. Sa seule solution est de parvenir à les convaincre d’attendre encore. Mais combien de temps pourra-t-il tenir et à quel prix ?
Grand entretien de 7h35 à 8h30 avec Stathis Kouvelakis, professeur de philosophie politique au King's College de Londres, spécialiste de la Grèce, qui s’est présenté aux élections législatives sous les couleurs de Syriza, coalition de la gauche radicale, qui a rassemblé plus de 27% des voix, score inespéré. La Grèce doit lever 3 milliards de bons du Trésor à court terme, est-ce que cela doit suffire à couvrir les besoins urgents des Grecs ?

Stathis Kouvelakis : certainement pas, la somme est faible, le gouvernement a été placé dans une position où il n’a pas d’autre choix que de lever ces fonds sur les marchés. Cela fait partie de la pression mise en place par la Troïka pour obtenir absolument tout ce qu’elle veut. On aurait pu penser que le bloc politique qui a gagné les élections de justesse en juin dernier aurait la tâche aisée. Mais c’est beaucoup moins facile parce que le désastre économique et social est el que ce nouveau train de mesures qui est demandé par la Troïka sur lequel le gouvernent précédent de Monsieur Papademos s’était engagé dès février dernier ne peut pas passer auprès de l’opinion publique, et même pas auprès de l’électorat qui a voté pour ce bloc au pouvoir. La situation est extrêmement tendue, y compris dans les milieux qui soutiennent ouvertement le gouvernement : tous disent que ce gouvernement ne peut pas tenir très longtemps.

Journaliste 1 : Gouvernement qui s’est engagé à faire 11,5 milliards d’économies … seule manière de convaincre les créanciers …

Stathis Kouvelakis : ce n’est pas 11,5 milliards d’économies, c’est 15 milliards, 3,5 pour l’année en cours et 11,5 milliards pour l’année prochaine. Donc 15 milliards de coupes qui viennent s’ajouter à toutes celles qui ont déjà été effectuées, tout cela met le pays dans une récession dont il faut saisir l’ampleur, c’est-à-dire quelque chose au niveau européen que nous n’avons pas vu depuis les années trente : la récession cumulée depuis 2008 est supérieure à 20%, comparable à ce que les Etats-Unis et l’Allemagne ont subi durant la grande dépression, et encore, de façon plus brève que ce que connaît la Grèce depuis quatre ans. Le désastre social est sans précédent, les chiffres du chômage ne recouvrent qu’ne partie de la réalité, plus d’un tiers de la population est exclu du marché du travail, plus de 28% de la population a basculé en-dessous du seuil de pauvreté [ chiffres officiels ], entre 600 et 700 000 Grecs dépendent d’organisations caritatives pour se nourrir, …

Journaliste 1 : Les services publics …

Stathis Kouvelakis : …, les services publics sont dans un état de liquéfaction absolue, la situation est dramatique dans le secteur de la santé, …

Journaliste 1 : une étude vient d’être publiée parlant de catastrophe sanitaire inédite dans l’Europe de l’après-guerre…

Stathis Kouvelakis : …, exactement. Les gens qui se font hospitaliser sont priés d’aller dans les pharmacies pour acheter les pansements, les choses extrêmement simples, ceux qui sont atteints de maladies lourdes voient leur traitement interrompu car l’organisme étatique qui est chargé d’acheter les médicaments pour les maladies chroniques n’a plus les moyens de le faire. Les firmes privées refusent de livrer des médicaments à l’équivalent grec de l’Assistance Publique. Plusieurs centaines de milliers de foyers ont vont leur fourniture en électricité interrompue parce qu’une partie des nouvelles taxes, exorbitantes, que demande le gouvernement est intégrée aux factures d’électricité normales. Mon exemple pour mon appartement à Athènes…

Journaliste 1 : … et vous n’êtres certainement pas l’un des plus mal lotis …

Stathis Kouvelakis : … d’habitude pour deux mois, c’est aux alentours de 150 euros, et là on me demande payer 1 800 euros ; je me trouve dans la même situation que tous ces foyers, et je ne peux pas payer l’intégralité de cette somme. C’est dans cette situation de désastre sans précédent que l’on va demander encore 15 milliards de coupes supplémentaires, et conduire à la spirale que nous avons se constituer depuis le début : le remède achève le patient !

Journaliste 1 : … mais cela devrait permettre à la Grèce d’être en meilleure position pour renégocier le mémorandum…

Stathis Kouvelakis : c’est exactement l’inverse qui se produit. Il faut comprendre que le mémorandum est un mécanisme mis en place pour permettre le refinancement de la dette. Le pays ne peut plus avoir recours aux marchés, comme l’Espagne, le Portugal et l’Irlande. La Grèce n’est qu’un cas, certes très accentué, d’un phénomène plus large, de la crise européenne. Ce mécanisme de financement se base sur un certain type de prévisions en fonction desquels les besoins de financement sont évalués. Or, à chaque fois, les besoins de financement réels sont supérieurs à ces prévisions parce que la récession est chaque fois plus forte que ce qui est prévu. On est dans un cercle vicieux qui ruine le pays et le met dans l’incapacité croissante de rembourser la dette qui est prétendument la cause de cette thérapie de choc qui en fait achève le patient …

Journaliste 1 : …vous employez le terme de thérapie de choc …

Stathis Kouvelakis : oui, j’emploie volontairement ce terme de Naomi Klein qui désigne les thérapies du FMI, appliquées d’abord dans les pays du Sud, puis  dans les pays d’Europe de l’Est après la chute des régimes dits communistes, et maintenant, c’est la première que ce remède est appliqué dans une version dure, peut-être même endurcie par rapport à ce que le FMI avait fait dans les pays du Sud, dans un pays de l’Europe occidentale membre de la zone euro. C’est cela la spécificité de la Grèce, il n’y en a pas d’autre.

Journaliste 1 : alors, Noami Klein décrit le terme de thérapie de choc comme des raids systématiques contre la sphère publique au lendemain d’un cataclysme, quand les gens sont trop focalisés sur l’urgence, sur leur survie, ils ne pensent pas à protéger leurs intérêts. Mais on ne voit quel intérêt pourrait un certain type de capitalisme du délitement de la Grèce, puisque c’est aussi la théorie de Noami Klein sur ces pays victimes de thérapie de choc.

Stathis Kouvelakis : il y a deux aspects. Le premier, c’est le management social du désastre. Et là, la Grèce sert d’exemple, de laboratoire. On sait qu’en Grèce, du fait des traditions sociales et culturelles, les résistances sociales seraient fortes. Donc si ça peut passer en Grèce, demain, ce sera fait ailleurs. Le second, c’est la valeur exemplaire de la Grèce. Il faut que la Grèce soit punie, culpabilisée, que sa population soit culpabilisée, c’est un élément très important de la façon dont les élites européennes gèrent la crise, car il faut bien vois que ce pays est sous tutelle. Le mécanisme du mémorandum est d’abord un mécanisme de mise sous tutelle du pays. Le mémorandum fixe un cadre que tous les gouvernements sont obligés d’appliquer à la lettre. Les Grecs savent bien que les décisions les concernant ne sont plus prises, même formellement, dans leur pays, mais ailleurs …

Journaliste 1 : … alors, le pays est sous tutelle du FMI. D’habitude, quand le FMI était seul aux manettes pour redresser l’économie d’un pays, il y avait un arbitrage à faire entre la baisse du coût du travail avec la baisse des salaires, et la dévaluation de la monnaie nationale qui permet de faire baisser les prix des produits à l’exportation, pour trouver les solutions pour remettre le pays à flot. Mais la Grèce fait partie de l’eurozone. Est-ce pour cela que la pression est si forte sur les salaires ?

Stathis Kouvelakis : oui, c’est exactement cela. La politique d’austérité est une politique lourde, que toutes les élites européennes veulent appliquer partout en Europe, mais de manières différenciées. L’austérité, c’est ce qui va se passer demain en France, en Allemagne, en Angleterre, dans les autres pays européens, mais ce que l’on va “vendre” aux salariés de ces pays, c’est que les choses ne sont certes pas faciles mais que ce ne sera pas aussi désastreux que la Grèce. Mais il faut savoir que l’austérité est un choix lourd. Dans le cas de la Grèce, les durs, les talibans de l’austérité, c’est l’Union européenne. Ce n’est pas le FMI, qui essaie à chaque fois de modérer, relativement, les orientations austéritaires qui sont celles de l’Union européenne …

Journaliste 1 : …mais, vous comprenez bien que des pays comme l’Allemagne ne peuvent payer pour tous …

Stathis Kouvelakis : oui, mais sauf que l’Allemagne elle-même, enfin l’économie allemande, les grandes sociétés allemandes tournées vers l’exportation, c’’est-à-dire le capital financier allemand, ont profité de la situation qui créé le déficit des uns parce qu’elle créé les excédents des autres. C’est un mécanisme simple : on voit bien que c’est la structure-même de l’eurozone qui aggrave les déséquilibres, les déficits des uns situés à la périphérie, surtout au Sud, mais également l’Irlande sont la condition des excédents des autres, essentiellement allemands ! C’est tout ce modèle à l’échelle européenne qui se trouve mis en cause. Et l’œil du cyclone se trouve en Grèce.

Journaliste 1 : la banque de Grèce a publié ses chiffres de croissance, qui a chuté de plus de 6% au deuxième trimestre. La commission européenne table sur 2014 pour un retour à la croissance. Mais la Grèce a connu la croissance avant la crise. Sur quels secteurs reposait-elle ? Et comment a-t-elle pu à ce point s’effondrer ?

Stathis Kouvelakis : ce n’est pas un hasard si tous les pays qui sont actuellement confrontés aux plus grandes difficultés économiques sont des pays qui avaient des taux de croissance supérieurs à la moyenne dans la première décennie de la constitution de l’eurozone. Mais toutes ces croissances étaient fondées sur des bulles : immobilière espagnole, bancaire irlandaise et consommation alimentée par le crédit en Grèce et au Portugal. Toutes ces économies ont été alimentées par un crédit bon marché. Ces pays ont perdu en compétitivité, et ne pouvant plus dévaluer leur monnaie nationale du fait de leur appartenance à l’eurozone, ils se sont tournés vers des secteurs de l’économie qui paraissaient relativement protégés des pressions sur la compétitivité : construction, boom de l’investissement privé, boom financier suscité par la mise en place de l’euro. Ces pays ont eu recours croissant à un crédit bon marché du fait de la mise en place de l’euro. On a eu donc d’un côté un malade que l’on a poussé à consommer davantage de drogue  qui devient bien meilleur marché qu’avant. Tout cela était évidemment insoutenable, et lors du retournement de conjoncture en 2008, c’est l’ensemble des pays qui se sont trouvé affecté par la récession, mais les pays qui étaient les plus fragiles du fait d’une croissance fondée sur des bulles insoutenables ont payé une facture beaucoup plus lourde que les autres. Là où les contradictions se sont concentrées, c’est sur la dette. La spécificité de la Grèce par rapport à l’Espagne, c’est que la dette grecque est une dette publique. Si on fait le total dette publique et dette privée, la Grèce n’est pas le pays le plus endetté en Europe. En revanche, l’état grec, moins efficace, est plus endetté qu’ailleurs.

Journaliste 1 : on a aussi parlé d’un secteur public hypertrophié.

Stathis Kouvelakis : c’est un mythe. Le secteur public grec est l’un des plus réduits de l’eurozone. On a parlé de la pléthore des fonctionnaires. Il y a probablement des problèmes au niveau de la répartition des salariés au sein de la fonction publique, mais le nombre total des fonctionnaires, en Grèce, est inférieur à ce qu’il est en France, en pourcentage de la population active, très inférieur à l’Allemagne et à l’Europe du Nord, les besoins sont criants en revanche dans la réalité des services sociaux, dans l’éducation, dans la santé, alors que le gros des problèmes se situe dans les secteurs les moins ouverts sur le service à la population, dans les secteurs les moins efficaces. Il est vrai par ailleurs que tous les gouvernements grecs ont pratiqué le clientélisme de façon extensive par la biais du recrutement dans la fonction publique. Mais ne mélangeons rien : le clientélisme ou l’absence de recrutement par concours ne veut pas dire que la taille de ce secteur public soit excessive. C’est même l’inverse qui est vrai. Tous les Grecs savent que leur état social et les services publics sont moins efficaces et plus réduits que dans les autres états européens.

Journaliste 1 : … et cette agence de privatisation qui a été mise en place en 2011 pour piloter un vaste programme de cession de biens publics, ça devrait remettre un peu d’ordre dans les …

Stathis Kouvelakis : alors ça, c’est l’autre point central et l’autre motivation essentielle qui se trouve derrière cette thérapie de choc. D’un côté il y a l’austérité, Grèce laboratoire de l’austérité et des politiques qui sont appliquées, il y a qu’il faut punir ces pays du Sud qui sont devenus maintenant une Europe de deuxième catégorie, et dont les citoyens, les peuples sont stigmatisés en tant que  mauvais européens, non-vertueux, dépensiers et paresseux. On a vu tous ces stéréotypes racistes revenir. Et il faut bien voir que ces pays sont à vendre, littéralement ! Et ça, c’est capital. La mise sous tutelle du pays veut dire la vente à l’encan des bijoux de famille. Pour la Grèce, cela veut dire ses infrastructures publiques, ses côtes, son soleil à travers des projets d’exploitation de son énergie solaire destinée à l’exportation, à vendre auprès de sociétés étrangères mais aussi grecques qui vont profiter de la grande braderie des biens publics qui est en train de s’organiser et qui est un trait immanquable de toutes les thérapies de choc appliquées qui ont été mises en œuvre, où que ce soit. Les Grecs ont une expression pour cela, ils appellent cela les filets, des tranches d’infrastructures qui sont déjà disponibles, qui ont déjà été construites grâce au travail collectif avec une rentabilité garantie qui va être bradé à des sociétés qui n’attendent que cela. Le port du Pirée a déjà été acheté par des sociétés chinoises. Tout cela se déroule dans une grande opacité de commissions préservées de tout contrôle parlementaire, public ou politique, car ça va être encore une fois les mêmes pratiques qui vont se mettre en place, les copains et les coquins qui vont en profiter.

Journaliste 1 : mais alors, que faut-il faire, annuler la dette ?

Stathis Kouvelakis : la dette est impayable, tout le monde le sait. Une partie a déjà été annulée, mais dans des conditions qui n’ont fait qu’aggraver les problème avec le mémorandum signé en février.

Journaliste 1 : mais ce sont les créanciers privés qui ont fait un effort à ce moment-là !

Stathis Kouvelakis : on leur a effectivement demandé de faire un effort, mais ça  n’a été un mauvais deal pour eux, car les titres sur les marchés secondaires s’échangeaient déjà au tiers de leur valeur. Ils ont reçu contre espèce sonnante et trébuchante 15% de la valeur de ces titres plus une autre part en titres à long terme. Il faut une restructuration beaucoup radicale de la dette, qui de toute façon, ne peut pas être payée, c’est un secret de polichinelle, et rompre avec cette politique d’austérité. Mais on est dans un mécanisme où l’on se demande, les élites et les forces dominantes, ne Grèce et plus largement en Europe, qui  peut entendre raison.

Journaliste 1 : Bruxelles n’a pas imposé que des mesures économiques. La Commission a pressé Athènes de s’attaquer à l’immigration. Les autorités  estiment à 350 000 le nombre de sans-papier, pour la plupart, ils ont fait de longs trajets depuis la Turquie, ils ne veulent pas  s’installer en Grèce, ce n’est qu’un point de passage pour aller en France ou en Angleterre, et un photographe indépendant français nous a fait visiter un quartier d’Athènes où les Grecs vont rarement, c’est le quartier du marché noir, où s’échangent les denrées récupérées ou volées. On s’y sent plus au Pakistan, la police surveille de près, il y a des Syriens, les gens habitent là, et on était chez un jeune syrien qui s’est improvisé barbier. C’était avant que plus de 2 000 policiers se soient lancés dans une grande opération de recherche de clandestins, plus de 6 000 personnes ont été interpellées, avez-vous l’impression d’un état qui ne peut plus assurer la sécurité au sens large ?

Stathis Kouvelakis : pour recadrer le propos, il convient de rappeler que l’Union européenne s’est contentée de mettre en place une structure économique “eurozone” qui créé une disparité croissante au détriment des pays de Sud, qu’elle a transformés, du fait de leur position géographique en véritable piège aux populations migrantes qui veulent entrer en Europe. “Dublin II” enferme littéralement les populations qui essaient d’entrer dans la forteresse Europe dans les zones où  ils essaient d’entrer. Cela concerne quasi-exclusivement le Sud européen, car c’est lui qui les frontières communes avec le Sud global, et singulièrement la Grèce. Ces populations sont piégées en Grèce qui se trouve dans un état social et économique dont nous parlons, avec des centaines de milliers de migrants qui ne veulent pas rester en Grèce, mais qui doivent y rester en vertu des conventions européennes.

Journaliste 1 : la Grèce a un ministre de l’ordre public et de la protection des citoyens, le tout avec des majuscules, qui justifie son action en disant que la Grèce subit actuellement la plus grande invasion qu’elle ait connue avant l’invasion des Doriens, en 1100 avant notre ère !

Stathis Kouvelakis : tout ce discours, d’abord ridicule, vise à justifier les brutalités policières auxquelles viennent maintenant s’ajouter celles de l’extrême-droite qui transforment la vie de ces migrants en véritable calvaire dans ce pays où rien n’est prévu pour les accueillir. L’union européenne se lave les mains et condamne les pauvres, les Européens de seconde zone, ceux du Sud, et les Grecs en l’occurrence, à s’entretuer avec les pauvres de troisième catégorie qui sont les migrants du Sud qui essaient d’entrer dans le paradis entre guillemets de la forteresse Europe.

Journaliste 1 : s’agit-il là de violences nouvelles, ou y a-t-il brutalisation des rapports sociaux ?

Stathis Kouvelakis : certainement, la dynamique de la crise et l’effondrement de l’État a engendré une brutalisation des rapports sociaux, notamment au sein de la police qui se sent totalement impuissante par rapport à la situation, et cela encourage la montée des radicalismes à droite avec l’essor d’Aube dorée.[…]
L’état de l’agriculture grecque fait aussi partie des dommages collatéraux de l’intégration du pays dans les structures de l’Union européenne et de sa politique agricole. La Grèce avait une balance excédentaire jusqu’au début des années quatre-vingt. Elle est devenue de plus en plus déficitaire au fur et à mesure de son intégration, à la communauté européenne comme on disait à l’époque, ce qui est tout de même paradoxal., sur le marché à Athènes, je trouve des tomates de Hollande qui coûtent moins cher que les tomates grecques, et des olives qui viennent d’un peu partout. L’huile d’olive a été l’une des principales victimes de cette intégration, car elle était considérée par l’Union européenne comme un produit archaïque, dépourvue d’avenir qui appartenait aux huiles de tournesol ou d’arachide. L’UE a incité les agriculteurs à arracher les oliviers pour les remplacer par des cultures totalement inadaptées comme le maïs, avec un coût environnemental très fort ! Les agriculteurs ont été incités à toucher des subventions pour ne pas produire ! au bout du compte, la Grèce qui pourrait être un grand pays agricole accuse maintenant un grand déficit.

Journaliste 1 : revenons-en au mouvement de protestation, ce mouvement des places qui semble s’être calmé depuis les élections du 17 juin, à l’issue desquels votre mouvement a recueilli plus de 27% des voix. Les Grecs auraient-ils intégré que la situation est maintenant irréversible ?

Stathis Kouvelakis : non, c’est l’inverse qui se passe. Ces deux dernières années, il y a eu plusieurs vagues de protestation qui ont pris des formes diverses dont on ne retient que les aspects les plus spectaculaires de type émeutiers.

Journaliste 1 : vous dites trois phases vraiment distinctes.

Stathis Kouvelakis : oui, exactement. D’abord des mouvements de grève, importants, qui ne débouchent pas, et qui sont ensuite relancés par le mouvement des places, appelé à tort mouvement des indignés …

Journaliste 1 : … pourquoi à tort ?

Stathis Kouvelakis : parce qu’il ne s’est pas appelé comme ça en Grèce ! Il y avait une grande banderole sur la place Syntagma “ nous ne sommes pas indignés, nous sommes déterminés ! ” C’était un mouvement beaucoup plus enraciné dans la société que le mouvement des indignés espagnols, qui était essentiellement un mouvement de jeunes. En Grèce, c’est toute la société dans sa profondeur, classes moyennes appauvries et classes populaires qui ont envahi l’espace public exprimant leur désaveu d’un système politique en place. Enfin, quand il est devenu clair qu’avec la chute du gouvernement de Papandréou et la mise en place du banquier Papademos avec un gouvernement dit d’entente nationale incluant l’extrême-droite, que les règles les plus élémentaires de la démocratie étaient bafouées. On est arrivé à la séquence électorale de mai et juin derniers où la population, très largement, a pris conscience que ces mouvements de protestation ne pouvaient pas déboucher sur des solutions pour mettre un terme à ces politiques barbares qui sont appliquées depuis deux ans. Il fallait une alternative politique, et c’est pourquoi le paysage politique grec a connu ce bouleversement radical et que des partis comme celui de la gauche radicale se sont trouvé propulsés de 5% à 27% des voix…

Journaliste 1 : … partis assez hétéroclites qui rassemblent plusieurs factions, vous n’êtes pas du tout d’accord sur tout entre vous …

Stathis Kouvelakis : parti pluraliste, coalition, un peu comme le front de gauche en France, il y a diverses composantes, il faut bien voir que l’expérience des deux dernières années a entraîné une homogénéisation de cette formation qui est en train de se transformer en un véritable parti intégré.

Journaliste 2 : on dit beaucoup en Grèce que Syriza n’était pas prêt à prendre le pouvoir et que ça l’a bien arrangée que la nouvelle démocratie l’emporte et fasse le gros du boulot, et vous dites vous-même qu’il fallait lui laisser le temps de s’organiser, et on dit aussi que Syriza est le parti des conservatismes, des fonctionnaires, des anciens du Pasok, de ceux qui ont beaucoup à perdre de la mise à bas de cette ancienne Grèce.

Stathis Kouvelakis : c’est tout le contraire. C’est totalement faux. Syriza a obtenu 27% des voix, et il suffit de regarder les résultats et leur répartition, l’essentiel de ces voix vient des classes populaires urbaines, des jeunes précarisés, qui sont touchés. Je tiens à préciser que Syriza est le premier parti avec plus de 30%, voire 40% des voix dans les tranches d’âge de l’électorat de moins de 55 ans en Grèce, et dans toutes les catégories actives de la population à l’exception des commerçants, patrons et agriculteurs.

Journaliste 2 : interruption inaudible où il est question de prise de pouvoir

Stathis Kouvelakis : dans toutes les situations de crise comme celles que connaît la Grèce, sociale et politique, le temps joue autrement et prend une densité particulière, exceptionnelle. Vous connaissez cette réflexion à propos de la révolution française durant laquelle chaque journée comptait autant qu’une année politique normale. C’est la même situation en Grèce. Les renversements de situation sont spectaculaires et rapides. Personne ne s’attendait il y a quelques mois à ce que Syriza se trouve aux portes du pouvoir, surtout pas d’ailleurs la direction et les militants du parti. En revanche, il y a eu une grande évolution dans la société grecque, un changement résolument radical, un besoin de se débarrasser de ce système politique agonisant, et dont le gouvernement actuel ne représente que la phase ultime de décomposition.

Journaliste 1 : le résultat, c’est quand même que les Grecs ont voté pour les mêmes partis qu’avant les élections !

Stathis Kouvelakis : de justesse. Il faut se rappeler que le Pasok est un parti qui n’avait jamais fait moins de 40% des voix, 38,9% au milieu des années quatre-vingt-dix, le parti socialiste, de centre-gauche mais qui a mis en place la thérapie de choc et les politiques d’austérité de 2009 jusqu’au printemps dernier, ce parti est passé de 44% à 12% des voix. C’est un effondrement d’un parti social-démocrate que l’on n’a jamais vu dans l’Europe de l’après-guerre. Quant à la droite, elle a certes gagné les élections avec 29% des voix, c’est-à-dire avec le deuxième score le plus faible de son histoire, le plus faible était celui de mai dernier, et le gouvernement actuel est un assemblage lui-même hétéroclite composé de la droite, du Pasok et d’un petit parti qui est une scission de Syriza en fait qui sert d’alibi de gauche moderniste aux politiques qui sont appliquées …

Journaliste 1 : … qui conteste aujourd’hui les mesures de compression de postes qui concernent les fonctionnaires, il essaie de faire bouger les lignes au gouvernement, …

Stathis Kouvelakis : alors, pour gagner ces élections, ces partis ont dû dire que bien sûr ils refusent le radicalisme de Syriza, sa volonté de dénoncer le mécanisme du mémorandum et d’aller au clash avec l’Union européenne, etc. Mais, ils ont bien été obligés de dire que l’on ne va pas continuer comme avant. On va chercher une renégociation, un réaménagement du mémorandum, et là, ils se heurtent à un mur, et les mesures que la troïka oblige le gouvernement actuel à prendre conduisent à une augmentation des contradictions à l’intérieur du gouvernement. Ça rue dans les brancards, et ça ne va tenir longtemps.

Journaliste 1 : vous parlez de radicalisme en parlant de Syriza. Mais Syriza n’envisage pas de sortie de la zone euro qui suppose une rupture trop violente avec un consensus européiste, et pourtant certains n’y verraient aucun inconvénient. Ecoutons Makis Malafèkas, écrivain grec, rencontré à Athènes, dans le quartier anarchiste, qui parle de son pays  qui fait bien partie, à son corps défendant, de la zone euro qu’il décrit.

Makis Malafèkas : c’est une zone démilitarisée, pour les adeptes de ceux qui pensent que c’est l’Europe qui garantit la paix, alors que c’est précisément l’inverse, c’est la paix qui garantit le processus européen, causalité oblige. Ensuite, c’est une zone interdite aux immigrés, les rescapés du tiers-monde, c’est une zone érogène pour les chiens de garde de Francfort et les financiers, et une zone de crépuscule pour les petites gens. Si on nous dit que l’on ne peut pas avoir une société avec des hôpitaux publics, des écoles publiques dignes de ce nom, et ainsi de suite tout en restant dans la zone euro, eh bien, c’est la peine, c’est pas grave, on ne restera pas.

Journaliste 1 : et vous, après avoir écouté Makis Malafèkas, vous faites partie de ceux qui disent qu’il faut sortir de la zone euro ?

Stathis Kouvelakis : moi, je fais partie au sein de Syriza de ceux qui pensent que la sortie de la zone euro est de toute façon inévitable. C’est inscrit dans la logique de la situation. Telle qu’elle est, la zone euro n’est pas viable.

Journaliste 1 : mais quel scénario, alors ?

Stathis Kouvelakis : ma position n’est pas celle de Syriza. Pour Syriza, la sortie de la zone euro n’est pas notre objectif, car notre objectif, c’est la dénonciation du mémorandum et la renégociation de la dette pour en annuler la plus grande partie, en ayant recours à la cessation de paiement si on se heurte à un refus. C’est une politique qui vise à renverser le rapport de force en avançant vers des mesures unilatérales de ce type qui conduisent certainement à la confrontation. On sait qu’il y aura un chantage et une pression terrible dont on a pu avoir une idée avec la pression qui a été exercée par l’Union européenne au cours de la campagne électorale. Mais nous ne cèderons pas ce chantage si nous parvenons au pouvoir. Et je pense que c’est ce qui va se passer.

Journaliste 2 : excusez-moi, mais c’est un grand classique de la politique grecque. Andréas Papandréou faisait exactement la même chose, quand il était premier ministre dans les années quatre-vingts, face à Kohl et Mitterrand à chaque fois qu’il allait à un conseil européen et qu’on l’appelait l’enfant terrible de l’Europe et qu’elle demandait des milliards en échange de “je ne signe rien, je ne fais rien, je bloque tout !”. C’est exactement ce que propose Syriza, c’est de la bonne vieille politique grecque de Papa !

Stathis Kouvelakis : non, pas du tout, la situation n’a absolument rien à voir, la Grèce des années quatre-vingt, qui connaissait un taux de croissance, …

Journaliste 2 : c’est de la fiction ?

Stathis Kouvelakis : … était une société paisible comparé à ce qui se passe à l’heure actuelle.

Journaliste 1 & 2 : …avec un niveau de vie comparable à la France…brouhaha

Stathis Kouvelakis : … je le répète, le désastre constaté en Grèce n’a pas de précédent dans un pays d’Europe de l’Ouest depuis les années trente.

Journaliste 2 : peut-être l’Espagne, au sortir de la guerre civile, peut-être l’Allemagne après la seconde guerre mondiale, peut-être la France… ?

Stathis Kouvelakis : j’ai dit après la guerre, en temps de paix, pour un pays d’Europe de l’Ouest. L’Allemagne a été très vite remise sur les rails d’une reconstruction et d’une croissance qui l’ont conduit au fameux miracle allemand. Ce qui se passe actuellement, c’est un véritable miracle du désastre.

Journaliste 2 : peut-être la Grande-Bretagne, à la fin des années soixante-dix ?

Stathis Kouvelakis : ça n’a absolument rien à voir. La récession cumulée en Grèce dépasse les 20% depuis le début de la crise. Les taux de chômage, l’état sanitaire du pays montre que nous avons affaire à des processus totalement inédits d’une certaine façon, dans l’Europe occidentale.

Journaliste 1 : quand vous parlez de cessation de paiement, ce serait sans attendre l’accord des créanciers, à la Kirschner, comme en Argentine.

Stathis Kouvelakis : absolument, je pense que c’est la bonne voie, car poursuivre dans celle qui a été choisie depuis deux ans, on l’a vu, ne conduit qu’à une aggravation du désastre. Il faut une rupture avec cette logique. La société est totalement à bout. On ne peut pas continuer dans cette voie.

Journaliste 1 : merci Stathis Kouvelakis. D’autres réunions sont-elles prévues avec Syriza pour mettre en place un … ?

Stathis Kouvelakis : ce que je peux dire, c’est qu’Alexis Tspras sera présent à la fête de l’Humanité à la mi-septembre.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article