Selon que vous serez à pied ou en tracteur, …

…, vous pourrez ou non manifester à Colmar ! C’est un peu la leçon que l’on peut tirer de ce qui s’est passé hier quand, voulant reprendre la main qu’elle avait perdue durant la grève du lait, la FNSEA a, comme l’a prétendu son secrétaire général, “ mobilisé 50 000 agriculteurs ” pour obtenir quelques centaines de millions d’aides du gouvernement. C’était réellement la foire d’empoigne, avec des opérations escargot sur les autoroutes [ tiens, c’est curieux, on n’a pas entendu Monsieur le président de la République vitupérer les irresponsables preneurs d’otages qui se servent des malheureux usagers de la voiture pour faire ignoblement pression sur des pouvoirs publics qui ne s’en laisseront pas conter ], des départs en toute tranquillité à partir de chefs-lieux de cantons pour bloquer les accès aux métropoles, et même, allumer des feux de paille et de pneus sur les Champs-Élysées ! On sait pourtant que pour n’importe quel nano-événement, une visite présidentielle par exemple, ce sont des régiments entiers d’hommes en bleu marine, caparaçonnés à la mad-max qui investissent les villes, procèdent en toute tranquillité à d’innombrables arrestations, fanfaronnent à grands renforts de sirènes pour impressionner ce Peuple que le pouvoir, dépourvu d’autorité, déteste et redoute au plus haut point.

A Colmar, il y a deux semaines, il y avait des milliers d’uniformes, des centaines de véhicules, un hélicoptère, et même un secrétaire d’État pour surveiller, enregistrer, identifier et ficher tout ce qui ressemblait de près, et surtout de loin à un antinucléaire. Comble de malchance pour les professionnels de la provocation, il n’y a pas eu d’incident, les manifestants faisant preuve d’une grande maturité et d’un grand contrôle d’eux-mêmes quand, en face, on roulait des mécaniques à l’abri des barrières anti-émeutes. Faut-il qu’ils nous haïssent et qu’ils nous considèrent comme des ennemis pour se conduire ainsi !

A Poitiers, la semaine dernière, on laissait faire une bande bien connue, bien identifiée [ il semble que ce soit les mêmes que ceux qui ont perturbé la manifestation anti-OTAN d’avril, et que les autorités ont laissé incendier deux ou trois édifices à proximité du pont de Kehl ], taguer quelques murs et briser quelques vitrines, cela étant fort opportunément présenté comme la manifestation de “ l’ultra gauche ” qui est comme l’on sait “ ultra violente ”. Par l’un de ces raccourcis dont les thuriféraires du pouvoir sont friands, on ne manquera pas d’en déduire que “ la gauche ” est comme l’on sait “ violente ”, cela viendra, sachons attendre. Cette manifestation brouillonne a été présentée par le représentant du gouvernement, préfet du coin, comme voulant s’opposer au transfèrement des détenus d’une ancienne prison à une nouvelle. Comprenons bien le message : ces gens, de “ l’ultra gauche ”, sont contre tout et s’opposent par conséquent à l’humanisation de la condition pénitentiaire. Alors que nous [ de “ l’ultra droite ” ? ], nous sommes des gens responsables. D’ailleurs, nous allons tout mettre en œuvre pour que notre justice passe, et ce, avec la plus grande des fermetés : en conséquence, les mois de prison sont tombés comme à Gravelotte, et gare à ceux qui s’aviseraient de ne pas avoir compris le message.

Hier, des dizaines de milliers de tracteurs ont investi, en tout impunité, les principaux centres-villes du pays, perturbant la vie des honnêtes gens pour attirer leur attention et susciter leur compassion.
Certes, la survie des ci-devant paysans et dorénavant agriculteurs, voire agro-entrepreneurs, est en jeu.
Certes, leur “ principal syndicat ”, la FNSEA, s’est spécialisé dans la cogestion de la PAC à Bruxelles et à Paris, et la mise en place de soupapes sociales en province.
Certes, tous les tenants d’une agriculture dite productiviste se sont auto-décerné le titre d’agriculteurs traditionnels, reléguant l’agriculture bio à une invention récente sortie des crânes d’intellectuels forcément méprisables.
Certes, “ le monde agricole ” ne représente pas plus de 1,5% de la population active française, mais il parvient tout de même à faire illusion en donnant aux gros céréaliers et aux promoteurs de l’élevage concentrationnaire une importance médiatique inversement proportionnelle à leur poids économique et social.
Mais la vie est ainsi faite que nous nous croyons tous, 30 ans après la fin des 30 soi-disant glorieuses, enfants de paysans et de la terre française, qui elle, ne ment pas ! L’une des premières places au concours d’enfumage revient incontestablement à cet élu alsacien, tête de liste “ UMP – grand-est ”, réélu à la tête du groupe du parti populaire européen [ c’est tout de même bizarre cette manie des gens de droite, qui tiennent absolument à se faire passer pour populaires ; ça rappelle irrépressiblement ces “ démocraties ” dites populaires qui rêvaient, comme l’a écrit Berthold Brecht, de dissoudre les peuples pour en élire d’autres ! ], qui a tout de même été “ mis en examen ” en 2004 pour complicité et recel d'abus de biens sociaux dans le cadre de l'affaire Unigrains / FNSEA [ mais chacun sait depuis l’affaire Clearstream que “ mis en examen ” signifie éventuellement prévenu, et en aucun cas coupable, comme Monsieur le président de la République nous l’a confirmé dans le démenti à ses propres déclarations ]. Voilà quelqu’un qui persiste à se faire passer pour un paysan dont le bon sens ne saurait être mis en doute, et qui parvient néanmoins à faire une brillante carrière politique en organisant les profits des semenciers de l'agro-industrie chimico-financière au détriment des paysans.
Avez-vous remarqué qu’il n’y a eu aucune arrestation malgré le trouble manifeste à l’ordre public ?
Avez-vous remarqué que les ministres se sont précipités les uns après les autres pour reprendre à leur compte la “ plateforme revendicative ” péniblement ânonnée par un secrétaire général de la FNSEA à la ramasse ?
Avez-vous remarqué avec quel empressement micros et caméras sont allés à la rencontre de ces hommes forcément courageux et néanmoins bourrus malgré leur allure de Jacques-Bonhomme, sur leur tracteur dés potron-minet [ autant dire qu’ils étaient énervés, et que les “ forces de l’ordre ” d’habitude si prompte à manier le bidule et à asperger tout ce qui bouge de lacrymogènes n’avaient qu’à bien se tenir ], qui défendent leur vie, et bien sûr la nôtre.

Tout cela est pathétique de ridicule, d’instrumentalisation de la misère et de mise en scène. Peu importe aux pontes de la FNSEA que les paysans doivent quitter leur terre, pour peu qu’ils continuent à fréquenter les salons ministériels et les antichambres présidentielles. Les petits producteurs de lait auxquels on refuse toute possibilité de valorisation de leur matière première en bloquant les circuits de distribution peuvent être immolés sur l’autel du profit, pour peu qu’ils n’oublient pas, quand on le leur demande, de venir se livrer à quelque exercice spectaculaire pour “ montrer leur détermination ” pour le plus grand avantage d’un syndicalisme agricole véritable fossoyeur de la profession.